8 février 2015

Luc 8/4-8 (9-15)

Les différents terrains


Prédication



Le texte de ce jour, la parabole du Semeur chez Luc, est en trois parties :

  • la parabole elle-même (versets 4 à 8)

  • le dialogue avec les disciples (versets 9 et 10)

  • et l’explication de la parabole (versets 11 à 15).


Le mot même de parabole mérite qu’on s’y attarde car il n’a plus d’évidence : aujourd’hui une parabole, c’est ce qu’on accroche à un balcon pour recevoir la télévision.


Anachronisme !


Dans la Bible, une parabole c’est un enseignement sous forme de récit imagé. C’est une histoire que l’on raconte pour dire de façon imagée des choses importantes. Cela s’apparente aux contes, ou aux fables.


C’est une histoire que l’on raconte. Et c’est une forme particulièrement répandue dans les pays de tradition orale, comme le Proche-Orient, au temps du Christ. On aimait raconter autant qu’on aimait écouter.


Jésus aima enseigner sous cette forme, pensant que ce langage était accessible aux simples comme aux érudits. Il raconta donc beaucoup de paraboles : L’évangéliste Luc est celui qui en a rapporté le plus. Il mentionne 32 paraboles dont 16 qu’on ne trouve que chez lui.


En général, la parabole chez Luc est moins liée à la proclamation du Règne de Dieu qu’à la conduite humaine. C’est également le cas ici.


Que signifie cette parabole ? Décrit-elle seulement - comme on a pu le dire - les différentes manières dont le cœur humain peut recevoir la Parole de Dieu ? Son but est-il d’exhorter les auditeurs à être ces bons terrains dans lesquels la Parole s’épanouit ? Sans doute l’un et l’autre.


Alors, arrêtons-nous sur le texte.

Il raconte l’histoire d’un agriculteur qui sème et dont les semences, les graines tombent dans différents terrains.

C’est une histoire du quotidien : Jésus a vu autour de lui les paysans semer ainsi, comme on dit «  à la volée ». On prend des semences dans un grand tissu tenu fermement entre la taille et la main gauche, et d’une large brassée de la main droite, l’on sème en un geste circulaire.

Les graines tombent à même le champ.

En fait, nous sommes ici en Palestine, dans la terre de l’Israël biblique, et la terre est rocailleuse, -ce ne sont pas des hectares de champ dans le Ried-, il ya des pierres, le champ est sec, il y a des collines et des côteaux, les chemins parcourent la campagne et bordent les champs. Les bosquets sont épineux. Ce sont des réalités de culture méditerranéenne.


Et Jésus décrit les différents terrains tels qu’il les connaît : il sait aussi la résonnance, l’écho que cela peut avoir chez ceux qui l’écoutent. Car à l’époque comme maintenant, nous nous reconnaissons dans ces différents terrains : quatre terrains comme les quatre quarts de notre vie : 1) lorsque la parole s’envole aussi vite qu’elle est proclamée, 2) Lorsque la réception de la Parole est superficielle (que cela n’entre pas en profondeur) et donc que c’est positif mais sans lendemain ; 3) Lorsque nous entendons l’évangile mais que nous sommes pris par le soucis et que l’espoir qu’il suscite est étouffé littéralement par nos peurs, nos regrets, nos inquiétudes ; 4) Lorsque enfin, nous sommes réceptifs, ouverts à la Parole, enrichis et renouvelé par elle.


Ce qui est intéressant et rare dans la Bible, c’est qu’ici Jésus donne l’explication que je viens de résumer : après la parabole, l’explication de la parabole. Jésus prend le temps : après l’enseignement imagé, l’explication.


La parabole ne dit rien des états d’âme du semeur. Jésus s’identifie-t-il au semeur ? Je mes suis souvent interrogé pour savoir si Jésus a voulu, par ce récit nous faire percevoir les craintes et les espoirs de son propre cœur. Lorsque Jésus commence son ministère, il fait l’amère expérience de l’échec de la prédication à Nazareth. Le texte nous dit (Luc 4/28) que tous furent remplis de colère dans la synagogue en entendant ses paroles. Qu’ils se levèrent et le jetèrent hors de la ville. Sans doute Jésus a-t-il fait l’expérience de ce qu’il nous raconte ici : et il distingue même différentes réalités auxquelles il a été confronté.


Bernard Sturny, ancien pasteur de St_Pierre –le –Jeune, et qui commente ce texte nous dit que l’important dans ce texte c’est la persévérance dans la transmission de la Parole de Dieu. Il parle d’un DTT, un « Dieu Tout terrain ».

Dieu sème –comme Jésus sema une parole d’évangile- et il s’adresse à tout le monde sans exclusive. Il ne choisit pas seulement les bons terrains, les chrétiens fidèles, les croyants convertis, mais il annonce la Bonne Nouvelle partout, dans tous les milieux, les bons et les mauvais, ceux qui sont acquis et ceux qui ne les sont pas.

Cela me fait penser aux officiers de l’Armée du Salut de mon enfance qui allaient distribuer le journal « En avant » dans les brasseries de la ville de mon enfance, auprès des solitaires qui y buvaient leurs salaires. Pour les sortir de là. Témoignage exemplaire, de même que celui de l’Armée du salut, toujours, ouvrant un poste à Cayenne en Guyane au temps du bagne, et qui fut le premier poste pastoral protestant en Guyane.

Cela me fait penser au témoignage des permanents et bénévoles d’une association protestante parisienne, du nom de la Bienvenue, qui allaient porter l’évangile aux jeunes filles et aux jeunes femmes en danger de prostitution.

Cela me fait penser au témoignage de la Mission populaire évangélique fondée par un missionnaire écossais du nom de Mac All. Ce pasteur vint un jour à Paris avec son épouse pour visiter Paris, c’était en 1871 peu après la fin de la Commune et la répression terrible qui s’en suivit. Il s’aventura dans le quartier de Belleville où se trouvaient de nombreuses petites entreprises, avec de nombreux artisans vivant avec leur famille souvent dans la misère. Ce quartier était notamment le quartier des alsaciens de Paris, qui avaient quitté l’Alsace dans les années 1830. Dont des menuisiers et des ébénistes de renom. Il y créa la Mission aux ouvriers de Paris.

Il y a des aumôniers de prison qui vont à la rencontre des détenus et les visitent, et leur annoncent la parole, la conversion possible, et un nouveau départ. En Alsace, l’association Espoir à Colmar est née ainsi de la volonté de protestants d’aider à la réinsertion des détenus tout en ouvrant un bureau d’aide aux victimes. Bernard Rodenstein est allé voir les responsables de la SCNF pour qu’ils mettent un wagon inutilisé, qui se trouvait en bout de quai sur une voie de garage, à disposition de l’association.


Le semeur sème dans tous les terrains, il ne renonce à aucun. Dieu ne renonce jamais, il sème une parole d’espoir. Il n’abandonne jamais, comme Jésus n’abandonna jamais son œuvre de salut. Au péril de sa vie et jusque sur la croix. L’amour, le pardon et la vie sont au cœur de l’évangile et il nous les offrira, jusqu’à la fin du monde.

« Le semeur sème la parole » dit le verset 14 : La parole est la proclamation du Royaume de Dieu qui vient ; c’est elle que Jésus est venu apporter aux hommes. C’est donc tout le mystère du Royaume qui est contenu dans les affirmations de notre parabole. C’est un royaume caché semblable à la graine qui est en terre, en attendant d’éclore. Si le grain ne meurt a écrit André Gide, reprenant la phrase de l’Evangile.

Nous croyons que cette semence d’évangile est porteuse de vie.

Le miracle se produit : la semence porte du fruit, un grain en rapporte cent !

Générosité de l’évangile. La parole de Dieu est victorieuse, malgré toutes les résistances.


L’humanité entière est le champ que Dieu féconde, sans choisir a priori entre les bons et les mauvais. Car notre Dieu est un dieu qui fait grâce.

Je crois que Dieu nous invite à enlever de notre cœur ce qui fait obstacle à la beauté de sa parole. A ne pas en rester à une réception superficielle en voyant la parole s’envoler aussi vite qu’elle s’est déposée en nous, à n’avoir pas le cœur sec qui fait que l’on entend et que l’on est indifférent, à ôter les épines et tout ce qui s’oppose à l’éclosion de la Parole en nos vies.


Au fond ce texte parle de nous : et ces quatre terrains, c’est toujours un peu nous mêmes selon les moments et selon les époques de la vie. Parfois nous avons l’esprit ailleurs, n’ayant pas envie de gravité ; parfois nous entendons la Parole et son enseignement mais quelque chose en nous l’empêche de prendre racine ; parfois, nous sommes de ceux qui entendent mais qui, du fait des soucis, des richesses ou des plaisirs de la vie –comme le dit l’évangile aujourd’hui- étouffent l’esprit de l’Evangile. Et puis parfois, nous sommes cette bonne terre avec un cœur loyal et bon, la retenant et portant du fruit avec persévérance.


Je pense que Jésus dans cette parabole parle à l’intimité de notre être. Il nous adresse un encouragement à être cette bonne terre qui est capable de porter du fruit. Jésus est un bon pédagogue, au fond, comme ces enseignants qui savent – lorsque c’est possible- qu’il vaut mieux encourager l’élève que le blâmer. Pour qu’il donne le meilleur de lui-même.



Dieu fait de nous des « témoins tout-terrain », comme il le fit avec les apôtres dans les terres diverses de l’Empire romain, avec les missionnaires au Zambèze, au Lesotho ou en Nouvelle Calédonie comme Maurice Leenhardt, qui apprit la langue et devint l’un des spécialistes reconnus de cette culture mélanésienne. Cela ne fut pas facile et dans trois fois sur quatre comme dans notre parabole, cela échoua. Mais la quatrième fois fut une bénédiction portant du fruit au centuple. Eloge de la persévérance.


Ce mot là nous servira de conclusion : c’est le dernier mot de la parabole … «  la persévérance ». Il ne faut jamais renoncer. Il faut avoir confiance et croire que Dieu bénira. Jésus lui-même a tracé le chemin de la fidélité. Quelqu’un a dit «  la persévérance n’est pas une longue course, c’est beaucoup de petites courses les unes après les autres » (Elliott). Et c’est aussi l’expérience que nous faisons. A celui qui est fidèle dans les petites choses, à celui-là l’on confiera aussi de grandes choses. Car « Les grandes œuvres jaillissent non de la force mais de la persévérance », dit Samuel Johnson.


C’est un mot aussi qu’employa Saint-Augustin, qui fut plus que quiconque théologien de la grâce de Dieu.


Pour semer à notre tour, nous sommes envoyés.


Et c’est l’enseignement sans doute de notre parabole : à notre tour, Jésus nous fait semeurs, porteurs de sa parole de vie. Il nous invite à aller à la rencontre des gens, là où ils sont. En un mot : oser l’évangélisation !



Amen.